Renouvellement du Sénat
Le « nouveau » Sénat peut fonctionner de façon constructive
Il vaut la peine de mettre à l’essai, à titre expérimental, le concept d’un comité des travaux qui serait responsable des échéanciers pour chacun des projets de loi, dit Paul G Thomas.
Cet article de Paul G Thomas a été publié initialement dans le Winnipeg Free Press, le 2 mars 2018. Paul G. Thomas, professeur émérite en études politiques à l’Université du Manitoba, est également membre du Comité consultatif d’Élections Canada.
Le 15 février, des dirigeants représentant les différents partis et groupes sans affiliation de parti qui forment le Sénat ont annoncé un échéancier pour le vote final sur le projet de loi C-45, qui porte sur la légalisation du cannabis. Ce vote aura lieu au plus tard le 7 juin. L’entente précise également un échéancier pour la deuxième lecture et la période pendant laquelle le projet de loi sera étudié en profondeur par cinq comités sénatoriaux avant la tenue du vote final.
Ce cas illustre pourquoi il est temps de revoir les stéréotypes hautement négatifs qui entourent le Sénat, qui est souvent vu comme une institution inutile fondée sur le patronage et qui a manqué à ses obligations principales (c’est-à-dire d’effectuer un second examen objectif des projets de loi, de représenter les régions et de garder à l’œil les actions du gouvernement). Le nouveau Sénat, qui est encore en pleine évolution, est en train de devenir une force politique qui compte dans le paysage politique national.
L’histoire récente est révélatrice de ce qui a changé.
En 2014, le chef du Parti libéral Justin Trudeau a retiré les sénateurs du caucus parlementaire national, ce qui signifiait qu’ils n’étaient plus soumis à la discipline de parti. En 2016, en tant que premier ministre, M. Trudeau a créé un processus de demande et de consultation visant à faire du Sénat une institution non partisane indépendante.
En date de février 2018, il y avait eu 32 sénateurs nommés selon la nouvelle procédure. Ainsi, le plus grand contingent au Sénat est maintenant le Groupe des sénateurs indépendants, qui devrait devenir majoritaire au Sénat dans un proche avenir.
Un autre changement a consisté à remplacer l’ancien poste de leader du gouvernement au Sénat par le nouveau poste de représentant du gouvernement, qui est responsable de veiller à l’avancement du programme parlementaire du gouvernement. Il n’y a toutefois plus de sénateurs du gouvernement qui font partie du caucus parlementaire et qui sont assujettis à la discipline du parti. Cela signifie qu’il faut rallier une majorité de sénateurs pour chaque projet de loi étudié par le Sénat et qu’il faut mener des négociations en ce qui concerne le calendrier d’examen des affaires gouvernementales.
Le premier représentant du gouvernement est le sénateur indépendant Peter Harder, qui, avant d’être nommé au Sénat en 2016, était un haut fonctionnaire respecté. M. Harder, qui reconnaît la nouvelle réalité des pouvoirs partagés au Sénat, a présenté un document de travail proposant le concept de « comité des travaux », un forum où se dérouleraient les négociations relatives à l’ordre du jour et à l’échéancier de chaque projet de loi.
Selon le document de M. Harder, un comité des travaux chargé d’organiser les délibérations du Sénat réduirait les stratagèmes politiques, de même que la nécessité d’avoir recours à l’attribution de temps. Le document ajoutait qu’on espérait qu’au fil du temps, cette mesure, de concert avec d’autres changements, ferait en sorte que la structure du Sénat deviendrait plus constructive et collaborative.
Les propositions de M. Harder ont immédiatement soulevé un tollé de la part des sénateurs conservateurs, et même de la part de certains sénateurs libéraux indépendants, qui ont présenté un scénario alarmiste. De fait, ils ont fait valoir que la programmation du processus législatif par un comité des travaux détruirait notre modèle de gouvernement parlementaire de Westminster parce que cela éliminerait les affrontements et restreindrait le rôle de l’opposition organisée au sein de la Chambre haute.
Plusieurs arguments peuvent être avancés pour contester ces critiques.
Le terme « modèle de Westminster » désigne les systèmes parlementaires dotés d’un cabinet présents au Royaume-Uni et dans les anciennes colonies britanniques. Les institutions sont toutefois très variées dans ces pays. Un des avantages présumés du modèle de Westminster est sa flexibilité, qui lui permet de s’adapter à des circonstances différentes en constante évolution dans différents milieux nationaux.
Contrairement à ce que certains détracteurs croient, le concept de comité des travaux n’est pas étranger à la tradition de Westminster. Il a été adopté par la Chambre des représentants de la Nouvelle‑Zélande après l’adoption par ce pays, en 1996, d’un système électoral mixte proportionnel qui a mené à un Parlement multipartite et à des gouvernements de coalition. La Chambre des lords du Royaume-Uni utilise un échéancier pour la gestion de ses projets de loi.
Il est vrai qu’une opposition légitime et efficace est indispensable à une démocratie parlementaire saine, mais il existe déjà plusieurs types d’opposition dans le processus parlementaire.
Le type le plus évident est l’opposition officielle, qui est le deuxième plus grand groupe à être reconnu par les lois et les règles, notamment en ce qui concerne la fourniture des ressources. Dans les assemblées législatives multipartites, on parle souvent des partis de l’opposition, un terme qui désigne tous les partis qui ne font pas partie du gouvernement. L’opposition peut également exister à l’intérieur du cadre des différents partis, y compris le parti au pouvoir. Finalement, l’opposition peut exister en dehors du cadre des partis lorsque des législateurs travaillent ensemble en misant sur des milieux sociaux communs (comme des régions), sur des idéologies communes ou sur des intérêts politiques communs.
Le nouveau Sénat ne peut pas fonctionner de manière efficace et efficiente s’il devient un fouillis total. Il faut modifier ses structures et ses règles pour tenir compte de sa nouvelle composition et de la nature plus imprévisible de ses travaux. Les règles doivent être des instruments neutres, mais au cours des dernières décennies, elles se sont transformées en armes politiques pour faire avancer ou stagner les travaux du Sénat.
Pour éviter les stratagèmes politiques continuels, il vaut la peine de mettre à l’essai, à titre expérimental, le concept d’un comité des travaux qui serait responsable des échéanciers pour chacun des projets de loi. Le cas du projet de loi sur le cannabis montre qu’il est possible d’adopter une approche plus constructive et collaborative basée sur le compromis.