Renouvellement du Sénat

La politique partisane n’a plus sa place au Sénat

L’effritement des pires exagérations partisanes des opérations du Sénat après 150 ans et le remplacement de celles-ci avec des opérations moins partisanes et plus transparentes, équilibrées et avisées, ce n’est pas rien, dit ancien sénateur Hugh Segal.

Cet article par Hugh Segal, le directeur actuel du Collège Massey et un ancien sénateur, a été publié pour la première fois en anglais dans The Globe and Mail le 27 juin 2018. Il était un député conservateur de l’Ontario.

L’adoption de lois ayant pour but de légaliser la marijuana et de décourager la conduite avec facultés affaiblies au Sénat la semaine dernière est une preuve concrète que la réforme du Sénat est efficace. Ce n’est pas parfait, mais les résultats sont bien meilleurs que ceux produits par un Sénat ancré dans la partisanerie. Même si le gouvernement actuel est saisi d’autres enjeux, le premier ministre Trudeau peut se réjouir de cet important pas vers l’avant. L’approche adoptée à l’égard des nominations au Sénat a permis d’améliorer la qualité des débats ainsi que celle des législateurs.

Lorsque je siégeais au Sénat, de 2005 à 2014, les travaux de ce dernier étaient largement dirigés par des directives partisanes provenant des deux plus anciens partis. Les nominations effectuées par ces deux partis au moment de leur règne illustraient ces priorités partisanes. La création d’une Chambre haute aussi divisée et tendue que la Chambre élue n’est pas ce qu’auraient voulu les artisans de la Confédération. Ces derniers tentaient plutôt de créer une Chambre de second examen ayant pour objectif d’améliorer les lois, de poser des questions plus détaillées et de faire preuve de patience et de discernement, tout en respectant la volonté démocratique des Canadiens conformément au mandat des élections et aux valeurs véhiculées par le gouvernement dûment élu.

L’ancienne Chambre rouge ne laissait que très peu de place pour les importantes modifications législatives. La semaine dernière, le projet de loi sur la marijuana a été renvoyé à la Chambre des communes avec plus de 40 amendements du Sénat. Le gouvernement n’en a refusé que 13. Le projet de loi a été adopté à son retour au Sénat. Au cours de mes neuf années de service, aucun des 10 projets de loi à l’étude n’a été saisi d’un si grand nombre d’amendements au total, tant sous le règne du premier ministre Martin que sous celui du premier ministre Harper. Les fervents partisans des deux camps auraient veillé à ce que ce soit impossible.

Depuis les élections de 2015, les nominations au Sénat, qui sont préalablement examinées par un groupe de Canadiens non partisans, se sont grandement améliorées par rapport à celles effectuées par d’anciens premiers ministres depuis un bassin de collaborateurs et de lobbyistes partisans.

Des personnes compétentes et de hautes volées ont été nommées sous ces deux structures. Cependant, la parité des sexes, l’équilibre des compétences et l’équilibre professionnel sont bien plus solides aujourd’hui, tout comme l’est l’ouverture des députés à l’égard de débats sur des projets de loi qui ne sont pas uniquement motivés par la partisanerie, l’adoption d’une résolution, la réalisation d’une enquête ou l’examen d’une question de principe.

L’opposition conservatrice du Sénat prétend que les personnes nouvellement nommées ne sont que des élites libérales qui se disent indépendantes. Même si elle est prévisible, cette accusation est décevante. Les conservateurs du gouvernement Harper qui sont à l’origine de la réforme ont fait en sorte que la réforme du Sénat devienne un élément indispensable de leur accession au pouvoir. Leurs intentions étaient sincères et de nombreux conservateurs progressistes soutenaient cette mesure. Toutefois, la Cour suprême a défini en 2014 les mesures qui sont conformes à la Constitution, et celles qui ne le sont pas. Le premier ministre Trudeau souhaitait améliorer la situation grâce à une démarche constitutionnelle moins partisane. C’est d’ailleurs ce mandat clair que lui a confié le public canadien, et il a honoré sa promesse. Les conservateurs affirment maintenant que les sénateurs indépendants ne sont que des poseurs libéraux déguisés lorsqu’ils appuient un projet de loi. Cependant, si ces sénateurs indépendants s’opposent à un projet de loi, on les accuse de provoquer le chaos et la confusion. Peu importe la décision qu’ils prennent, ils ne gagnent jamais. Cette attitude adoptée par les conservateurs est irrationnelle et prouve à quel point la relation entre l’ancien gouvernement et le Sénat a été mal entretenue. C’est d’ailleurs en raison de cette relation qu’ils ont perdu les élections en 2015. Une plateforme électorale des conservateurs pour 2019 s’articulant autour du principe que la partisanerie pure et étroite au Sénat est la meilleure voie à suivre est une solution tant improbable que malavisée.

Les députés de tous les partis qui ont contribué à concrétiser ces nouvelles modalités de fonctionnement au Sénat méritent des éloges, surtout le petit groupe de députés représentatifs du Sénat dirigé par Peter Harder. Il faut également souligner le travail de la nouvelle équipe de coordination du Groupe des sénateurs indépendants, dirigé par les sénateurs Yuen Pau Woo et Raymond Saint-Germain, ainsi que celui des libéraux et des conservateurs indépendants qui se sont abstenus de voter ou qui ne se sont pas présentés au vote (il y en a) ayant permis d’adopter la pièce maîtresse de la Chambre élue.

Il reste encore du travail à accomplir dans ce dossier (comme renvoyer l’examen indépendant des dépenses à un intervenant externe), mais cela n’amoindrit en rien tout ce qui a déjà été accompli. L’effritement des pires exagérations partisanes des opérations du Sénat après 150 ans et le remplacement de celles-ci avec des opérations moins partisanes et plus transparentes, équilibrées et avisées, ce n’est pas rien. En effet, cette modernisation peut nettement améliorer le cadre législatif sur la façon dont la démocratie parlementaire fonctionne, ce qui n’est pas une mince affaire, surtout à l’heure où une pression importante et inefficace est exercée sur la démocratie à l’échelle mondiale.

La politique partisane n’a plus sa place au Sénat