Renouvellement du Sénat

Le Sénat doit inclure un point de vue externe dans ses mécanismes de surveillance et de vérification de ses dépenses

Permettre à quelques membres extérieurs de rejoindre la structure de gouvernance du Sénat contribuera grandement à améliorer la crédibilité de l’institution, dit le sénateur Peter Harder.

Cet article par le sénateur Peter Harder a été publié pour la première fois en anglais dans Policy Options le 14 novembre 2018.

Peu de Canadiens qui se sont intéressés à la récente évolution du Sénat pourraient soutenir de manière crédible que la Chambre haute ne s’est pas améliorée. Grâce au nouveau processus indépendant de nomination au Sénat, le Sénat reconstruit tranquillement sa réputation.

Mais l’institution a un grand manque de crédibilité et de légitimité aux yeux de la population canadienne, comme le démontre un récent sondage de Nanos publié dans Policy Options, lequel montre que, même si les Canadiens sont en très forte proportion favorable à un Sénat plus indépendant, seulement un quart de la population a une impression positive ou plutôt positive des sénateurs. Si on leur demande quel mot leur vient spontanément en tête au sujet du Sénat du Canada, 12 pour cent des Canadiens répondent « gaspillage d’argent ».

Par conséquent, même si le Sénat a fait beaucoup de progrès, il est évident qu’il doit en faire davantage.

Pour ce faire, le Sénat travaille à la refonte de son régime de vérification et de surveillance et envisage la création d’un comité de vérification et de surveillance (CVS). Il s’agit d’une occasion pour le Sénat de montrer clairement aux Canadiens qu’il n’a pas peur des conseils honnêtes des experts externes ni de se soumettre à leur examen en ce qui a trait à la vérification des dépenses et les mesures de surveillance garantissant que l’argent des contribuables est bien dépensé.

Les principes fondamentaux d’une bonne gouvernance exigent que le CVS inclue des membres extérieurs au Sénat pour représenter les intérêts du public.

Ces derniers peuvent être des experts en gouvernance d’entreprise et d’institutions publiques et d’anciens juges. Après tout, le vérificateur général du Canada a recommandé dans son rapport en 2015 que la surveillance des dépenses des sénateurs soit confiée à un organe dont les membres, y compris son président, sont à majorité indépendants du Sénat.

Malheureusement, certains sénateurs insistent pour que le CVS ne compte aucun membre externe. Ce n’est pas la bonne manière de procéder.

Dans un comité de surveillance sans membres extérieurs, un groupe de sénateurs superviserait et formulerait des jugements sur les autres sénateurs, un modèle qui provoque l’apparition de conflit d’intérêts. Cette approche est également contraire à la recommandation du vérificateur général du Canada.

On commettrait de toute évidence une erreur en refusant d’inclure une représentation externe du public, une erreur qui, tôt ou tard, finirait par hanter le Sénat. Si sa gestion de l’argent des contribuables est encore une fois remise en question, le public portera son attention sur le CVS en questionnant sa structure de gouvernance, son rendement et ses membres. Les Canadiens seraient en droit de se demander si le Sénat a bel et bien tiré des leçons du scandale des dépenses, un enjeu qui était encore bien présent dans l’esprit des électeurs au moment de l’élection fédérale de 2015.

Heureusement, il n’est pas trop tard pour changer de cap. Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement s’est saisi de la question. Ses membres devraient tenir compte des points de vue de plusieurs sénateurs qui ont soulevé la nécessité d’inclure des voix extérieures, notamment l’ancien éditorialiste André Pratte, la spécialiste de la vérification et de la gouvernance, Lucie Moncion, et l’avocate spécialisée dans les droits de la personne, Marilou McPhedran.

Ceux et celles qui opposent l’inclusion de représentants externes dans les travaux de surveillance et de vérification des dépenses du Sénat affirment que l’inclusion de membres non issus du Sénat au CVS porterait indument atteinte au privilège parlementaire du Sénat à titre d’organisme autonome. En fait, cette attitude fait croire aux Canadiens que les sénateurs s’inquiètent plus de leurs privilèges que de la confiance de la population. Le Sénat appartient aux 36 millions de Canadiens, et c’est précisément parce que sa gestion laissait à désirer depuis des années avant le scandale des dépenses que des voix éclairées, y compris d’anciens sénateurs et des sénateurs en poste, le vérificateur général, le directeur du Massey College, Hugh Segal (un sénateur ancien), et un ancien conseiller en éthique du Sénat – recommandent l’adoption d’un régime de surveillance comprenant des membres externes chargés de représenter l’intérêt du public.

Mais bien que l’argument du privilège parlementaire doive être pris au sérieux, il n’a pas sa place dans ce débat. Jusqu’à maintenant, cet argument a été présenté de manière abstraite comme étant incontestable, sans véritable étude de la manière dont l’adhésion externe au comité de surveillance pourrait être organisée dans le but de coexister, plutôt qu’interférer, avec les privilèges entourant le Sénat.

Le principe selon lequel le Sénat est un organisme autonome n’empêche pas l’inclusion de membres externes dans la surveillance des dépenses.

Bien évidemment, les sénateurs sont maîtres chez eux. Et, par conséquent, le Sénat peut choisir d’inclure des professionnels externes à son CVS. Bien loin de miner le privilège, l’inclusion de membres externes au sein du comité serait une application pertinente et favorable des privilèges du Sénat. Au bout du compte, le Sénat, à titre de Chambre, demeurera en contrôle et il peut décider à tout moment d’infirmer sa décision, s’il le désire.

La plupart des provinces canadiennes sont allées encore plus loin que ce qui a été proposé à Ottawa. En Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, à Terre-Neuve-et-Labrador, au Manitoba, en Alberta et en Ontario, les vérificateurs généraux provinciaux ont clairement, dans leur mandat législatif, la responsabilité de vérifier les dépenses de leur assemblée législative respective.

Par ailleurs, le Sénat du Canada n’est ni la première ni la seule institution parlementaire de type britannique à devoir traiter des enjeux de la vérification et de la surveillance.

Nos amis du Commonwealth à la Chambre des communes du Royaume-Uni et au parlement de l’Australie ne sont pas moins autonomes que nous, mais ils ont volontairement mis sur pied des organes de vérification et de surveillance solides et entièrement indépendants  dont les membres sont uniquement des représentants externes. Le parlement australien a créé son organe de vérification en 2017 en réaction à des scandales. En ce qui concerne la Chambre des communes du Royaume-Uni, en réponse à des cas de dépenses outrancières et exagérées par des députés, l’Autorité indépendante des normes parlementaires a été mise sur pied. Ces organes sont entièrement externes, mais leur taille, leur portée et leur coût dépassent largement ce dont a besoin le Sénat du Canada.

La Chambre des lords a opté pour une approche plus modeste qui mérite d’être prise en considération : un comité de vérification qui comprend non seulement des lords, mais également deux membres externes, dont l’un occupe la présidence. Cette approche correspond davantage à la solution qui, selon certains, devrait être adoptée au Sénat.

Mais ce qui retiendra peut-être davantage l’attention, c’est le comité consultatif de vérification composé à moitié de membres externes qui a été mis sur pied à Terre-Neuve-et-Labrador dans la foulée du scandale des indemnités de fonctions en 2006. La situation a mené à la publication d’un rapport signé par le juge Derek Green, qui comprenait des recommandations qui ont toutes été acceptées et transformées en loi en l’espace de quelques jours. Dans son rapport, le juge Green a souligné que les membres externes pourraient fournir un point de vue indépendant et réfléchi sur des questions financières, de sorte que le comité de vérification puisse agir comme un chien de garde contre la mauvaise gestion financière à l’Assemblée législative.

Le rapport Green a mené à l’établissement d’un comité de vérification composé de deux députés élus, dont l’un doit être membre de l’opposition, et de deux membres externes sélectionnés par le juge en chef de la province. Agissant à titre de sous-comité consultatif de la Commission de gestion (comme le Comité sénatorial permanent de Régie interne, budgets et administration), le comité de vérification a pour mandat d’aider la commission à s’acquitter de ses responsabilités de gestion des comptes envers l’Assemblée. De l’avis du juge Green, la question ne consistait pas vraiment à déterminer s’il fallait ou non ajouter un élément externe à la structure de gouvernance de l’Assemblée, mais plutôt comment inclure des membres externes à un organe sans miner les privilèges de l’Assemblée. Le juge Green a conclu que, puisque le comité de vérification n’aurait qu’un rôle consultatif auprès de la Commission de gestion, la présence de membres externes ne porterait pas atteinte aux privilèges de l’Assemblée législative. Ce compromis constitue, peut-être, un excellent point de départ pour le Sénat, qui doit maintenant jongler avec l’art du possible.

À ma connaissance, les comités sénatoriaux qui ont étudié la question n’ont entendu publiquement aucun témoin provenant des assemblées qui se sont dotées d’un organe de vérification et de surveillance auquel siègent des membres externes. Les sénateurs avaient compris qu’une étude approfondie et transparente de la question aurait lieu au sein du Comité sénatorial permanent du Règlement – complétée avec les preuves directes de témoins compétents provenant de l’extérieur du Sénat. Il aurait été judicieux d’entendre, à tout le moins, le témoignage du juge Green.

Plus que tout, le Sénat doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour démontrer qu’il accueille favorablement le regard scrupuleux du public et qu’il n’est pas contre le regard critique de professionnels externes.

Même si la question du privilège parlementaire représente un défi, de précédents événements au Canada et à l’étranger démontrent que ce n’est en aucun cas un problème insurmontable. L’expérience de Terre-Neuve-et-Labrador démontre que des solutions créatives peuvent être trouvées à travers la création d’un comité de surveillance qui agit à titre consultatif.

Il n’y a aucune ambiguïté quant au lieu où réside le pouvoir ultime; pas plus qu’il n’existe une question quant au coût politique résultant du fait d’ignorer le conseil de membres externes.

Les sénateurs ont l’obligation, à titre de gardiens de cette Chambre du Parlement, de tout faire en leur pouvoir pour restaurer le manque de crédibilité de leur institution. Et permettre que des professionnels externes participent à la surveillance des dépenses constituerait une approche qui renforcerait grandement cette crédibilité.

Selon moi, l’inclusion de membres qui ne sont pas sénateurs dans le CVS est nécessaire pour aller plus loin dans la bonne direction. Si une majorité de sénateurs décide de créer un CVS dépourvu de cette caractéristique essentielle, cette majorité agira sans mon soutien.

Le Sénat doit inclure un point de vue externe dans ses mécanismes de surveillance et de vérification de ses dépenses