Renouvellement du Sénat

Modernisation du Sénat : le chemin parcouru à ce jour et ce que nous pouvons faire pour aller plus loin encore

Cet éditorial par l’ancien sénateur John Wallace fait partie d’une série d’articles rédigés par d’anciens sénateurs sur le renouvellement du Sénat.

John Wallace a été sénateur du Nouveau-Brunswick pendant huit ans. Nommé sénateur conservateur en 2009, il a choisi de quitter le caucus du parti et de siéger comme indépendant en 2015 jusqu’à son départ en 2017.

John Wallace a été sénateur de 2009 jusqu’à 2017.

J’ai acquiescé à la demande de donner mon opinion personnelle sur la façon d’atteindre l’objectif fixé dans le cadre du processus de renouvellement du Sénat, à savoir la création d’une Chambre du Parlement moins partisane et plus indépendante, responsable et transparente.

D’entrée de jeu, je tiens à souligner une fois de plus et à reconnaître que le processus de modernisation du Sénat découle directement des initiatives lancées en 2014 par notre estimé collègue et ancien Président du Sénat, le sénateur Pierre Claude Nolin. Ce dernier a entamé les discussions sur la modernisation du Sénat par une série de questions qu’il a présentées au Sénat à ce moment-là, notamment sur :

1)  l’histoire et l’origine du Sénat;

2)  son rôle législatif;

3)  son rôle de représentation des régions;

4)  son rôle de protection des minorités;

5)  son rôle de diplomatie parlementaire; et

6)  son rôle dans la promotion et la défense des causes d’intérêt public.

Sans l’ombre d’un doute, nous ne pouvons sous-estimer ni oublier les nombreuses contributions du regretté sénateur Nolin pour le renouvellement du Sénat du Canada et de ses membres.

Un Sénat moins partisan, plus indépendant

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le « nouveau processus de nomination » des sénateurs constitue une amélioration notable et nécessaire par rapport à ce qui existe, à savoir :

  • les Canadiens peuvent proposer le nom de personnes en vue d’une possible nomination au Sénat;
  • ce processus de nomination repose maintenant sur des critères accessibles au public, objectifs et fondés sur le mérite;
  • tous les candidats retenus doivent reconnaître et confirmer qu’ils s’acquitteront de leurs responsabilités et de leurs fonctions sénatoriales de façon entièrement indépendante et impartiale.

Cette obligation de toujours agir de manière indépendante et impartiale est à la fois fondamentale et absolument nécessaire pour l’exécution adéquate du rôle législatif premier du Sénat, soit d’être « un corps législatif complémentaire chargé de donner un second regard attentif aux projets de loi », comme le confirme la Cour suprême du Canada dans sa décision de 2014 concernant le Renvoi relatif à la réforme du Sénat.

De plus, la Cour suprême du Canada a affirmé : « En créant le Sénat de la manière prévue à l’Acte, il est évident qu’on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes ».

Les rédacteurs de la Constitution ont cherché à soustraire le Sénat du processus électoral auquel participaient les députés de la Chambre des communes, afin d’écarter les sénateurs

d’une arène politique partisane toujours soumise aux impératifs des objectifs politiques à court terme. En agissant ainsi, ils ont clairement établi une distinction entre les rôles et les responsabilités constitutionnelles des sénateurs et ceux des députés élus.

À l’aube de la Confédération, sir John A. Macdonald a expliqué clairement l’importance du rôle législatif du Sénat et la façon dont les sénateurs devraient s’acquitter de cette tâche :

« Une Chambre haute ne serait d’aucune utilité si elle n’exerçait pas, quand elle le juge opportun, le droit de s’opposer à un projet de loi de la Chambre basse, de l’amender ou de le retarder. Elle ne serait d’aucune utilité si elle se bornait à sanctionner les décrets de la Chambre basse. Elle doit être une Chambre indépendante, jouissant de sa propre liberté d’action ».

De plus :

« Les ministres ne pourront plus se livrer à l’avenir aux manœuvres auxquelles ils avaient recours au Canada auparavant – ils ne pourront pas, dans le but de faire adopter une mesure ou de renforcer leur parti, essayer de supplanter la Chambre haute indépendante en y faisant nommer plusieurs de ses partisans ».

Malgré cette volonté, et l’exigence que les sénateurs doivent toujours remplir leur rôle législatif fondamental de façon entièrement indépendante et impartiale, de toute évidence, ce n’est pas ce qui s’est passé. Le problème, comme l’a dit le sénateur Nolin dans son discours au Sénat le 4 février 2014, était, selon ses propos, le suivant : « Nous avons commencé à perdre de vue nos responsabilités ».

À mon avis, et à celui de tant d’autres, cet échec découle directement de la partisanerie politique excessive qui prévaut et qui se pratique depuis fort longtemps des deux côtés du Sénat.

Lorsque je parle de partisanerie politique excessive, je ne me borne pas simplement à l’appartenance à un parti politique, mais aux décisions prises par le Sénat pour soutenir, rejeter ou modifier un projet de loi qui sont fondées d’abord et avant tout sur la maximisation d’un avantage politique partisan pour son propre parti politique, et inversement, sur le désavantage politique de l’autre. En d’autres termes, « voter selon les directives du parti ».

Ce n’est pas et cela ne doit pas être la bonne réponse pour assurer le bon fonctionnement d’un corps législatif dont le rôle est de donner un second regard attentif aux projets de loi.

Le rôle législatif fondamental du Sénat devrait toujours être exercé sur la base de considérations d’ordre public objectives et axées sur le mérite et sur un processus décisionnel qui représente et reflète le plus possible les intérêts des Canadiens, et ne devrait pas pencher en faveur d’un parti pris politique unilatéral, impartial et qui reflète les intérêts supérieurs des caucus politiques.

Cette pratique historique des sénateurs de toujours « voter selon les directives du parti » et de choisir, pour la plupart, d’approuver automatiquement la volonté politique et la direction de leur caucus politique respectif manque évidemment d’impartialité et mine sérieusement la crédibilité et la réputation du Sénat.

Le Sénat n’a pas été créé pour se borner à refléter ou à approuver sans discussion la Chambre des communes, bien au contraire.

Par conséquent, pour que la population canadienne ait la certitude que le Sénat joue le rôle qui lui est assigné, à savoir être un « organisme tout à fait indépendant », il faudra « revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes ».

Je demeure convaincu que :

  1. Toutes les nominations futures au Sénat, peu importe le parti politique au pouvoir, devraient se faire selon un processus de sélection ouvert, public et transparent qui repose sur des critères objectifs et fondés sur le mérite.
  2. L’objectif primordial de tous les partis politiques et de leur caucus politique respectif étant d’obtenir le pouvoir et d’y rester et de prendre des décisions et des mesures qui facilitent l’atteinte de cet objectif, je crois qu’aucun sénateur ne devrait être membre d’un parti politique national et participer aux réunions des caucus politiques. Les conflits d’intérêts des sénateurs qui découlent d’un refus de conformité sont évidents pour les personnes qui ont été membres d’un caucus politique national.
  3. La pratique actuelle de permettre à des sénateurs membres du Groupe des sénateurs indépendants de parrainer les projets de loi d’initiative ministérielle au Sénat devrait être abolie. Le rôle d’un sénateur parrain est d’agir en tant qu’agent du gouvernement afin que le projet de loi soit adopté. Je peux dire d’expérience que j’ai conscience qu’agir ainsi implique un engagement direct du sénateur parrain dans la politique stratégique du gouvernement et dans les considérations politiques qui se rapportent au projet de loi en question. En l’occurrence, je crois que le sénateur parrain indépendant est nettement en conflit d’intérêts réel et apparent, ce qui l’empêche d’agir, tout en donnant l’impression d’oeuvrer d’une manière « complètement indépendante ».

Je suis persuadé que ce conflit d’intérêts serait entièrement éliminé si tous les projets de loi étaient parrainés au Sénat par l’une ou l’autre des personnes suivantes :

  • représentant du gouvernement au Sénat;
  • coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat;
  • représentant du gouvernement au Sénat; ou
  • ministre responsable, sous-ministre ou secrétaire parlementaire, comme c’est présentement le cas lorsque les projets de loi sont renvoyés au comité sénatorial approprié aux fins d’examen, d’étude et de rapport.

Un Sénat  à la hauteur de ses responsabilités

Le Sénat du Canada est une entité gouvernementale autonome dans laquelle les sénateurs établissent les règles qui les régissent (y compris bien sûr leurs dépenses), et ils ont le pouvoir de prendre des décisions définitives sur la façon et le moment dont ces règles s’appliquent. Le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration est l’autorité suprême qui régit les dépenses des sénateurs, et comme les sénateurs l’ont toujours dit, particulièrement ceux en position de pouvoir : « Nous sommes maîtres chez nous ». Cette maxime pouvait être appropriée et acceptable pour la population il y a 150 ans, mais ce n’est plus le cas de nos jours.

Ceux d’entre nous qui ont été membres du Sénat à ce moment-là gardent un souvenir des vérifications approfondies des bureaux des sénateurs effectuées par le vérificateur général, qui ont donné lieu au Rapport du vérificateur général du Canada au Sénat du Canada en juin 2015. Affirmer qu’il s’agissait d’une expérience extraordinaire pour le Sénat et ses sénateurs serait un grave euphémisme. Les dépenses publiques totales pour cette vérification du Sénat se situent autour de 24 millions de dollars et le vérificateur général a identifié 30 sénateurs, incluant les leaders des conservateurs et des libéraux au Sénat, qui ont demandé des remboursements de dépenses qui ne s’inscrivaient pas dans le cadre des « dépenses parlementaires » admissibles; à cet effet, le vérificateur général a demandé que ces montants soient récupérés.

La réputation et la crédibilité du Sénat ont été sérieusement entachées, et l’opinion de la population à l’égard du Sénat a été sévère.

Les conclusions du vérificateur général ont eu certains effets positifs qui sont décrits dans les sections « Constatations » et « Recommandations » de son rapport.

À ce chapitre, j’attire votre attention sur les « Constatations » exposées aux paragraphes 42 et 43 ainsi que sur les « Recommandations » corrélatives, aux paragraphes 51, 52 et 53 :

Constatations

  1. « Une structure en vertu de laquelle certains établissent des règles qui s’appliquent à eux et ont le pouvoir de prendre des décisions définitives sur l’application de ces règles peut donner l’impression d’être empreinte d’un manque d’objectivité, puisque les personnes en cause peuvent être perçues comme favorisant leurs propres intérêts ».
  2. « Les sénateurs qui siègent au Comité de la régie interne présentent eux aussi des demandes de remboursement des dépenses qu’ils engagent à titre de sénateurs. Puisque les décisions qu’ils prennent peuvent s’appliquer à leurs propres demandes de remboursement, les sénateurs qui siègent au Comité peuvent être perçus comme n’étant pas en mesure de prendre des décisions indépendantes et impartiales ».

Recommandations

Surveillance des dépenses des sénateurs :

  1. « Le Sénat du Canada devrait revoir le mandat et la structure du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, ainsi que la relation hiérarchique de l’auditeur interne, en vue d’instaurer une surveillance indépendante des dépenses des sénateurs ».
  2. « La surveillance des dépenses des sénateurs devrait être assurée par un organe (« l’organe de surveillance ») dont la majorité des membres, y compris le président, seraient indépendants du Sénat. Les membres devraient être choisis de manière à ce que leurs compétences, connaissances et expériences réunies permettent à l’organe de surveillance de s’acquitter pleinement et efficacement de toutes ses responsabilités ».
  3. « Le mandat de l’organe de surveillance devrait comprendre les éléments suivants :
  • une participation à l’élaboration et à l’interprétation des règles, des politiques et des lignes directrices qui régissent les dépenses des sénateurs;
  • le pouvoir d’examiner les dépenses engagées individuellement par les sénateurs et toute la documentation pertinente;
  • le pouvoir de prendre des décisions définitives sur la conformité des dépenses en ce qui a trait aux règles, aux politiques et aux lignes directrices, et sur le remboursement de sommes par les sénateurs, le cas échéant;
  • le pouvoir exclusif d’embaucher l’auditeur interne du Sénat et de mettre fin à ses services, et d’approuver ses attributions et son mandat ».

Ce qui est ou devrait être évident pour tous est que la maxime du Sénat, à savoir « Nous sommes maîtres chez nous », est tout à fait vide de sens, totalement irrespectueux et va à l’encontre de l’opinion publique raisonnable et des attentes par rapport aux dépenses de l’argent des contribuables. De plus, elle dénote une absence complète d’appréciation et de compréhension de la nécessité d’accroître considérablement la responsabilité publique à cet effet par le Sénat en tant qu’institution fondatrice de notre Parlement canadien.

Les constatations et les recommandations du vérificateur général ne pouvaient pas être énoncées plus clairement en ce qui a trait à l’accroissement de la responsabilité publique. Le rapport prévoit clairement la création d’un « organisme de surveillance indépendant » où la majorité des membres, incluant son président, sont indépendants du Sénat.

Sauf erreur, le Sénat n’a pas donné suite à cette recommandation particulière. C’est la mauvaise conclusion. Sans ce changement, il y a une perpétuation de la perception négative de la population générale, qui considère le Sénat comme une élite qui profite de privilèges et qui se protège elle-même, qui a des frais publics considérables et qui ne pense qu’à ses propres intérêts . Le Sénat ne devrait pas se montrer insensible aux circonstances qui ont suscité l’attention du vérificateur général, à la réaction de la population et aux préoccupations légitimes qui ont été clairement exprimées à ce moment-là. Le moment est mal choisi pour prendre des demi-mesures afin de tenter de régler ces problèmes de façon adéquate.

À la lumière des constatations et des recommandations du vérificateur général, qui soulignaient une absence de processus concernant la surveillance et le contrôle indépendants au sein du Sénat, nous nous rappelons tous que des sénateurs ont été suspendus du Sénat sans salaire en 2013. À l’époque, les sénateurs, incluant ceux qui étaient touchés par la suspension, ont soutenu devant la Chambre que

le processus de suspension était tout à fait irrégulier, en raison de l’absence de procès, du manque de respect de la primauté du droit et des principes de la justice naturelle, incluant les droits et la protection dont jouissent tous les Canadiens en vertu de la Charte des droits et libertés, un élément de la Constitution. Ces arguments ont été renversés par la majorité des sénateurs conservateurs dans la Chambre; certains sénateurs suspendus ont même indiqué à ce moment-là que le Sénat était une « zone exemptée de la Charte ».

Encore aujourd’hui, le Sénat continue d’affirmer qu’avec l’autoprotection de son « privilège parlementaire », il a le droit exclusif de discipliner ses membres et d’imposer des sanctions administratives, incluant la retenue de salaire, sans possibilité de révision judiciaire par nos tribunaux canadiens et l’application des lois canadiennes pertinentes, y compris les droits et la protection prévus dans la Charte des droits et libertés.

La position du Sénat face à ce problème enfreint les principes de base de la justice canadienne qui exigent le traitement juste et équitable de tous les citoyens canadiens. Ces principes de base sont toujours le fondement du système démocratique de ce pays où nous vivons.

À mes yeux, il est inconcevable qu’à l’époque actuelle, une telle situation se perpétue au sein, entre autres, de l’une de nos institutions parlementaires fondatrices.

Recommandations

1)  Le Sénat doit prendre toutes les mesures nécessaires pour corriger cette application inéquitable et injuste des « privilèges parlementaires » et les conséquences qui y sont liées en modifiant et en limitant les circonstances dans lesquelles ces privilèges s’appliqueraient. La Charte des droits et libertés et la règle de droit en vigueur dans notre pays doivent, sans exception, être disponibles et appliquées dans l’intérêt de tous les Canadiens, et le Sénat du Canada devrait s’engager dans cette direction.

2) Le Sénat devrait adopter les recommandations du vérificateur général en ce qui concerne la création d’un organisme de surveillance indépendant; la majorité des membres devraient être indépendants du Sénat.

Un Sénat plus transparent

Comme nous le savons fort bien, les comités du Sénat mènent régulièrement des études et produisent des rapports de haute qualité, couvrant un large éventail de sujets qui sont très pertinents et qui intéressent grandement les organisations, les entreprises et les citoyens canadiens. Ces dernières années, le Sénat a rendu le travail des comités plus accessible au public; toutefois, je crois qu’il reste encore beaucoup à faire.

En vue d’améliorer l’efficacité et la pertinence du Sénat au bénéfice de l’intérêt collectif et, ce faisant, d’accroître la transparence au sein de l’institution, j’estime que des améliorations additionnelles devraient être apportées pour augmenter de façon significative la sensibilisation du public, l’accessibilité et l’utilisation potentielle de tous les renseignements, des constatations et des conclusions qui émanent de chaque rapport ou étude du comité sénatorial.

À cette fin, je recommanderais que tout le contenu des rapports et études soit accessible au grand public de façon électronique, par Google par exemple, par sujet, par mots et phrases clés et par renvois aux textes législatifs, ainsi que par le nom des rapports/études, le nom des comités, le nom des sénateurs participants et des témoins, etc. De cette façon, le travail d’enquête du Sénat pourrait devenir une ressource et un outil de référence de recherche beaucoup plus précieux pour l’usage et au profit de tous les Canadiens, y compris les représentants des médias.

En conclusion, j’espère que mes réflexions sauront être profitables pour les sénateurs au cours de leurs délibérations actuelles et futures concernant le renouvellement du Sénat.

Le Sénat du Canada est toujours présent à mon esprit.

*Les opinions exprimées ci-dessus ne sont pas nécessairement identiques à celles du bureau du représentant du gouvernement au Sénat.

Modernisation du Sénat : le chemin parcouru à ce jour et ce que nous pouvons faire pour aller plus loin encore