Renouvellement du Sénat

Quelques idées sur le renouvellement du Sénat

De nouvelles mesures comprendraient un comité de surveillance, un veto suspensif et une plus grande consultation publique, écrit l’ancien sénateur Pierre De Bané.

Cet éditorial par l’ancien sénateur Pierre De Bané fait partie d’une série d’articles rédigés par d’anciens sénateurs sur le renouvellement du Sénat. M. De Bané a été sénateur libéral pendant près de 30 ans. Il a pris sa retraite en août 2013 à l’âge de 75 ans.

J’ai passé 29 ans au Sénat et, avant cela, près de 16 ans comme député à la Chambre des communes. Au cours de mon mandat à la Chambre, j’ai été ministre pendant plus de cinq ans. Je suis heureux d’avoir l’occasion de formuler quelques suggestions sur la façon dont un Sénat renouvelé, plus « indépendant » – une innovation audacieuse et prometteuse dans la démocratie parlementaire canadienne  – peut fonctionner comme une « Chambre moins partisane, plus indépendante, responsable et transparente ».

L’ancien sénateur Pierre De Bané.

Le lecteur ne sera pas surpris d’apprendre que mon expérience en tant que sénateur a été, dans l’ensemble, positive. J’ai moi-même constaté de quelle façon les sénateurs et le Sénat, en tant qu’institution centrale de notre démocratie, peuvent contribuer à un meilleur gouvernement au Canada. J’ai reconnu  la sagesse qu’ont démontréeles Pères de la Confédération lorsqu’ils ont créé une deuxième Chambre qui servirait de « second examen objectif » des projets de loi présentés par la Chambre élue. J’ai constaté comment des Canadiens ayant une vaste expérience dans différents secteurs de la société, venant de toutes les régions du pays, pouvaient mettre leur expérience et leur voix au service de questions difficiles de politique publique. J’ai  observé de quelle manière les intérêts régionaux pouvaient être reflétés au niveau fédéral et exprimés d’une façon qui complétait la voix des provinces.

En 2014 ce fut l’honneur du Sénat de demander au vérificateur général d’examiner les règles et les systèmes du Sénat et de proposer  tout changement nécessaire. Cette initiative s’est terminée par une enquête et un rapport en 2015 dans lequel il a formulé quelque 15 recommandations visant à assurer une gouvernance et une gestion financière plus modernes, efficaces et transparentes au Sénat. Il a recommandé la création d’un organisme de surveillance de la gestion financière, dont la majorité des membres, y compris son président, seraient indépendants du Sénat. (Ce modèle de surveillance indépendante à la Chambre haute est essentiellement le même que celui adopté par le Royaume‑Uni et l’Australie.)

À l’instar de bon nombre d’autres Canadiens, j’avais espéré que le rapport du vérificateur général transformerait à jamais la façon dont les sénateurs faisaient leur travail. Malheureusement, le rapport ne semble avoir eu presque aucun effet. Aucun organisme de surveillance n’a été créé et en mai dernier, le Bureau de régie interne du Sénat a voté pour permettre aux sénateurs de transférer les fonds excédentaires de leurs budgets de bureau et d’accueil à leurs comptes de logement.

Par conséquent, ma première recommandation, qui vise à permettre au Sénat de jouer le rôle prévu par notre Constitution, consiste à mettre de l’ordre dans la gestion et le contrôle financiers, de manière à donner suite aux recommandations du vérificateur général et à rétablir la confiance du public à l’égard du Sénat en tant qu’institution.

Un changement connexe consisterait à imposer des contrôles plus stricts dans des domaines comme les conflits d’intérêts et l’éthique, où les écarts de conduite des sénateurs peuvent remettre en question la façon dont l’intégrité  du Sénat est perçue.

Au-delà de cela, beaucoup de moyens peuvent être mis en œuvre pour mettre à profit les talents et l’expérience des sénateurs indépendants qui ont été nommés au cours des dernières années. Permettez-moi de mentionner cinq domaines où le Sénat peut contribuer de façon importante à l’intérêt public.

Le premier consisterait à utiliser les outils et les capacités du Sénat pour obtenir de meilleurs résultats, notamment sa capacité à tenir des audiences, à mener des études à long terme et à produire des rapports détaillés et relativement non partisans sur des sujets d’intérêt public. Les rapports du Sénat sont vraiment au cœur de l’institution. Je pense en particulier aux travaux de comités comme ceux présidés par le sénateur Maurice Lamontagne sur la politique scientifique, le sénateur David Croll sur la pauvreté, le sénateur Henry Hicks sur le Moyen-Orient et le sénateur Michael Kirby sur la santé mentale. Ces rapports ont été déterminants.

De plus, il ne faut pas ignorer la possibilité que des sénateurs étudient des questions et des projets qui les intéressent tout particulièrement. C’est quelque chose qui est valorisé depuis longtemps dans le travail du Sénat. Je pense notamment au travail du sénateur Jim Munson sur l’autisme, au sénateur René Cormier comme champion des Acadiens, au travail de la sénatrice Ratna Omidvar sur les immigrants et les réfugiés ou aux initiatives de la sénatrice Joan Fraser sur l’alphabétisation, entre autres.

Ces activités – tant individuelles qu’en comité – peuvent avoir une influence considérable sur les politiques publiques, tant au Canada qu’à l’étranger. Nous avons maintenant des sénateurs indépendants – mettons entièrement à profit leur indépendance, leur expérience et leur imagination.

Deuxièmement, on peut faire beaucoup de choses pour rétablir et renforcer le rôle régional des sénateurs, une fonction initialement prévue par notre Constitution, mais qui n’a pas reçu l’attention qu’elle mérite au cours des dernières années.

Les sénateurs ne sont pas là pour remplacer les points de vue des premiers ministres et des provinces, mais ils sont des députés fédéraux qui doivent  prendre la parole pour veiller à ce que leur région puisse se faire entendre à propos des lois et des politiques publiques en général.

Troisièmement, le Sénat pourrait apporter une contribution considérable au Canada en prenant des mesures pour accroître la participation des Canadiens aux travaux du Parlement. Tout comme le Sénat qui sollicite sur son site web les points de vue d’anciens parlementaires, il pourrait également solliciter les points de vue des membres du public sur les grandes questions soulevées au pays. Cela pourrait ressembler aux pages des « lettres à la rédaction » dans les journaux – c’est-à-dire un site Web qui est légèrement organisé et modifié, mais qui encourage les gens à s’exprimer et les autres Canadiens à formuler des commentaires. Pour faciliter ce genre de dialogue continu, la base de données des contributions pourrait être facilement consultable sur le site Web. Le Sénat deviendrait alors un lieu de dialogue actif et responsable entre les Canadiens sur des questions importantes pour l’ensemble du pays. Tout cela permettrait d’accroître à la fois la crédibilité et l’efficacité du Sénat en tant qu’institution nationale.

Quatrièmement, le lecteur se souviendra que l’Accord de Charlottetown de 1992 comprenait une entente, approuvée à l’unanimité par le gouvernement fédéral et toutes les provinces, y compris le Québec, pour créer un nouveau Sénat, un Sénat qui exercerait ses pouvoirs de façon plus limitée. Le Sénat de 1867, bien sûr, reflétait l’opinion à l’époque selon laquelle il était nécessaire d’avoir un organisme composé de la « haute bourgeoisie » pour surveiller le travail des élus de la Chambre des communes. Les propositions de Charlottetown visaient à créer un Sénat moderne, adapté à notre époque. L’une des modifications proposées aurait été d’abroger le pouvoir du Sénat de rejeter une mesure législative et de la remplacer par un veto suspensif – c’est-à-dire le pouvoir de retarder l’adoption d’une mesure législative pendant une période définie (dans le cas de Charlottetown, jusqu’à six mois). Un tel veto suspensif n’exige pas en fait une modification constitutionnelle – c’est quelque chose qui pourrait être mis en œuvre aujourd’hui grâce à l’adoption d’une motion par le Sénat. (C’est aussi quelque chose qui existe depuis longtemps au Royaume-Uni.)

Si le Sénat adoptait cette nouvelle vision d’une Chambre avec un veto suspensif, cela transformerait à la fois le travail et la crédibilité de cette institution nationale vitale.

Un dernier commentaire – Je suis profondément convaincu qu’à l’occasion de la prochaine législature, une initiative importante visant à transmettre le dynamisme du nouveau Sénat consisterait, premièrement, à adopter le veto suspensif et deuxièmement, à créer un ou plusieurs comités spéciaux chargés d’entreprendre des études sur des sujets d’une grande importance pour le Canada qui méritent aujourd’hui un examen sérieux.

En tant qu’ancien sénateur, je suis tout à fait conscient que les fonctions normales des sénateurs – séances régulières trois jours par semaine, travaux des comités permanents, etc. – font en sorte qu’il ne serait pas facile d’ajouter des tâches supplémentaires à leur ordre du jour. Néanmoins, il y aurait beaucoup de travail à faire si les sénateurs, dans leur nouveau rôle indépendant, étaient intéressés. Voici quelques sujets éventuels qui pourraient intéresser des comités spéciaux ou des sénateurs :

  • les responsabilités et possibilités dans l’Arctique canadien;
  • un cadre stratégique pour les demandeurs d’asile et l’immigration;
  • un cadre stratégique pour les pipelines et les autres infrastructures nationales;
  • les exigences en matière de consultation sur des grands projets d’infrastructures;
  • des projets de loi définissant les droits des citoyens en matière de protection de la vie privée (en s’inspirant peut-être du nouveau règlement de l’UE) et d’accès à l’information, et de nombreuses autres questions qui touchent les droits et responsabilités des citoyens, mais qui ne concernent pas les crédits;
  • un projet de loi visant à établir des processus de nomination raisonnables, efficaces et efficients pour les sénateurs et les juges;
  • un projet de loi exigeant que les résultats des enquêtes scientifiques menées par les ministères et les organismes fédéraux soient régulièrement rendus publics;
  • des projets de loi obligeant le gouvernement à présenter publiquement les résultats de sa planification ou de son établissement des priorités (p. ex. une déclaration semestrielle de la politique et des objectifs en matière de sécurité internationale);
  • une réforme électorale;
  • une étude et/ou une mesure législative concernant le caractère bilingue de la capitale nationale du Canada;
  • à peu près tout ce qui concerne les affaires constitutionnelles.

Ce sont tous des domaines où les sénateurs et les comités sénatoriaux, à l’aide du personnel et des outils de recherche à leur disposition, peuvent apporter une contribution importante à l’intérêt public. Ce sont des domaines où les Canadiens de toutes les allégeances politiques, y compris les partis à la Chambre des communes, accueilleraient favorablement un examen relativement non partisan des questions et des options.

*Les opinions exprimées ci-dessus ne sont pas nécessairement identiques à celles du bureau du représentant du gouvernement au Sénat.

Quelques idées sur le renouvellement du Sénat